C’est reparti pour un tour… Le mouvement contre la réforme des retraites, entamé le 19 janvier, entre dans une nouvelle phase. Une sixième journée de mobilisation est prévue ce mardi 7 mars, avec un changement de stratégie notoire du côté des syndicats : ils appellent désormais au blocage du pays, dans l’espoir de contraindre le gouvernement de retirer l’article 7, qui prévoit de reporter l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et cristallise les tensions. “La mobilisation s’intensifie et se radicalise, analyse Olivier Rouquan, politologue, enseignant-chercheur en sciences politiques et chercheur associé au CERSA (Centre d’Études et de Recherches de Sciences Administratives et Politiques). Les termes employés par les syndicats sont durs, en réponse au gouvernement qui entend poursuivre sa réforme sans modifier le fameux article 7, et qui mise sur l’adoption du texte au Sénat, où les Républicains sont majoritaires”. Après son examen – houleux – à l’Assemblée nationale du 6 au 18 février et une pause parlementaire, le texte est en effet actuellement entre les mains des sénateurs, dans une ambiance tout de même plus apaisée.Battre le pavé tant qu’il est chaudMais les huit organisations syndicales, unies et déterminées comme jamais, comptent bien battre le pavé tant qu’il est chaud. Un million de personnes, au bas mot, sont à nouveau attendues dans la rue et comptent bien exprimer leur sentiment d’injustice face à un projet de loi jugé “brutal” et un gouvernement taxé de surdité. Répondant à l’appel des syndicats, les cheminots, portuaires, dockers, ainsi que les employés des secteurs de l’énergie et du pétrole, prévoient de débrayer afin que cette journée – et sans doute les suivantes – marque un véritable tournant dans le bras de fer avec le gouvernement. “Comme à chaque fois qu’un projet de loi met en jeu l’État Providence, les syndicats démontrent leur efficacité à établir un rapport de force, poursuit le politologue. Ils apparaissent en position de force, d’autant que leurs services d’ordre empêchent les dérapages”. Mais pas sûr qu’ils parviennent à “mettre à genoux l’économie française”, comme l’a menacé la semaine dernière le secrétaire général de la fédération CGT de la Chimie. À l’heure du télétravail, les grèves ont moins d’impact et de nombreux salariés devront vite délaisser le piquet, sur fond d’inflation et de baisse de leur pouvoir d’achat.Quant aux Français, 71 % des personnes interrogées se disent toujours opposées à la réforme selon un récent sondage. “Pour l’heure, l’opinion publique ne bascule pas en faveur du gouvernement, comme c’est pourtant souvent le cas au bout d’un certain temps face à la gêne et au désordre”, précise Olivier Rouquan, qui précise néanmoins que “ce soutien important et durable peut s’effriter si le mouvement dure trop longtemps ou si des violences éclatent, comme avec les gilets jaunes”.Aucune concertation possible, sauf avec les RépublicainsFace à ce front uni, l’exécutif ne lâche rien. Enfin, si. Élisabeth Borne et son gouvernement ont fait deux concessions pour obtenir le soutien des LR : la revalorisation de la retraite à 1 200 euros brut minimum pour les retraités actuels et pas seulement pour les nouveaux, et l’extension du dispositif carrières longues à ceux qui ont commencé à travailler à moins de 21 ans. Mais pas question de revenir sur le report de l’âge légal de départ à 64 ans. Les négociations sont au point mort et l’espace de concertation inexistant. Quant à Emmanuel Macron, il multiplie les déplacements à l’étranger – il vient de sillonner quatre pays d’Afrique centrale en quatre jours – plutôt que dialoguer avec des oppositions qui, selon lui, “ont perdu la boussole”.Il pense certainement à la Nupes. Alors que la réforme des retraites – son terrain de prédilection – aurait pu lui donner l’occasion de briller et d’engranger un capital politique important, la coalition de gauche semble en difficulté. Les socialistes se sont déchirés lors de la réélection d’Olivier Faure à la tête du PS, les écologistes sont effacés, les Insoumis en proie à des affaires nauséabondes. “À l’Assemblée nationale, les députés de la Nupes sont divisés et ne parviennent pas à s’accorder sur la manière d’affronter la majorité présidentielle, estime le politologue. Et dans la rue, ce sont les syndicats qui sont à la manœuvre, pas la Nupes”. Soucieux de reprendre la main sur le mouvement social et damer le pion à la CGT, Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, tente de rallier les jeunes. Son protégé, le député insoumis Louis Boyard, a même lancé un défi baptisé #BlocusChallenge aux étudiants.Quelle peut être l’issue de ce mouvement ? “Il est probable que la réforme soit votée. Mais son adoption risque de laisser des traces et un profond ressentiment dans l’opinion publique”, prévient Olivier Rouquan, qui évoque une possible “victoire à la Pyrrhus”, obtenue au prix de pertes si lourdes pour le vainqueur qu’elle équivaut quasiment à une défaite. Et en coulisses, le Rassemblement National attend son heure…
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