Le président français Emmanuel Macron et le ministre de l’environnement gabonais Lee White visitent l’arboretum Raponda Water, près de Libreville, en marge du One Forest Summit, le 2 mars 2023, au Gabon. LUDOVIC MARIN / AFP Le One Planet Summit organisé par la France et le Gabon, les 1er et 2 mars à Libreville, a rappelé la nécessité de protéger les grands bassins forestiers tropicaux pour limiter les effets du dérèglement climatique. Les débats ont surtout porté sur les pays à « haut couvert forestier et faible déforestation », comme le Gabon, qui jusqu’à présent ont reçu peu d’attention dans les négociations internationales. Alain Karsenty, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et spécialiste du bassin du Congo, décrypte certaines des propositions mises en avant. Le sommet de Libreville s’achève sur un appel à financer la protection des forêts tropicales en leur versant une forme de rente pour les services écosystémiques qu’elles rendent à l’humanité. Etes-vous surpris ? Alain Karsenty C’est un discours surprenant en effet qui ne correspond pas aux choix qui ont été faits dans le cadre des négociations internationales. Le consensus qui s’est exprimé, notamment lors de la COP de Glasgow en 2021 et vivement défendu par l’Union européenne (UE), est que seule la baisse absolue des émissions liées à la déforestation doit donner lieu à des paiements. La rhétorique de la « rémunération pour les services rendus par la nature » est totalement inappropriée car elle éloigne de la question essentielle des moyens par lesquels on peut faire avancer la lutte contre la déforestation : quelles politiques doivent-elles être mises en œuvre pour faire évoluer profondément les pratiques agricoles, clarifier les droits fonciers, permettre l’accès des populations à des énergies alternatives au charbon de bois, accélérer la transition démographique en Afrique par l’autonomie économique et sociale des jeunes femmes, aménager les territoires, progresser vers l’Etat de droit… Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Un sommet sur les forêts tropicales sur mesure pour le Gabon Et cette rhétorique escamote également les changements nécessaires à consentir dans les pays industriels quant aux modes de consommation (viande, agrocarburants, etc.) pour réduire la demande de produits contribuant à la déforestation. Les deux logiques sont très différentes : dans l’une, on verse des rentes. Dans l’autre, on incite à des changements ou à conserver des pratiques vertueuses. Mais des pays comme le Gabon, qui ont préservé leurs forêts, sont lésés par les mécanismes internationaux aujourd’hui en place, l’approche retenue dans les conclusions du sommet répond à leurs attentes. Il ne s’agit pas de dire que le Gabon ou les pays à « haut couvert forestier et faible déforestation » auxquels il appartient ne doivent pas recevoir de financements mais, en les mettant en avant, on inverse les priorités. L’urgence est de mobiliser de l’argent pour des pays comme la République démocratique du Congo (RDC) ou le Cameroun, où la déforestation est massive. Des investissements coûteux sont nécessaires pour traiter les moteurs de la déforestation. Quel bilan peut-on faire justement des politiques de lutte contre la déforestation dans lesquelles se sont engagés ces pays avec la promesse de financements internationaux ? Tous expriment une frustration devant la faiblesse et la lenteur des transferts financiers… Il reste, dans les esprits des gouvernements du bassin du Congo, l’idée que les forêts donneraient droit au versement d’une rente à proportion de leur superficie. Mais nous constatons dans des pays comme la RDC que l’Etat et ses administrations ne sont pas suffisamment en ordre de marche pour absorber les fonds qui pourraient être mis à leur disposition. Ils ont en réalité très peu de prise sur ce qui se passe dans le pays, sans parler des provinces de l’Est en proie aux groupes armés. Lire l’article Forêt d’Afrique centrale : le pacte vert de Lee White En face, il y a aussi les contraintes propres aux bailleurs qui suivent des procédures d’autant plus tatillonnes que le pays est considéré à risque de corruption. Au final, cela crée un système extrêmement rigide qui, en effet, génère des frustrations. Il faut une volonté politique et des administrations efficaces pour faire reculer la déforestation : c’est l’exemple donné par le Brésil d’Inacio Lula da Silva dans les années 2000 et dans une certaine mesure aussi par l’Indonésie. Le Gabon espérait que le sommet serait l’occasion pour lui de vendre les millions de tonnes de crédit carbone qui sont la reconnaissance du rôle que jouent ses forêts. Il semble que cela n’ait pas été le cas… Aucune annonce n’a été faite dans ce sens. Outre les questions que suscitent les crédits carbone proposés par le Gabon, l’utilisation des mécanismes de compensation par les grandes entreprises pour effacer leurs émissions polluantes fait l’objet de critiques importantes et beaucoup s’en éloignent. L’enquête publiée fin janvier par le quotidien britannique The Guardian en s’appuyant sur plusieurs travaux scientifiques a montré les failles d’un marché volontaire du carbone où beaucoup de projets ne vendent que du vent. Depuis le marché s’est mis en pause et les prix baissent. Une tentative pour redonner de la crédibilité à ce marché est de garantir que ces crédits carbone offrent aussi des bénéfices pour la protection de la biodiversité. D’où ces « crédits à haute intégrité environnementale » qui seraient désormais privilégiés comme cela a été annoncé à Libreville. Mais cela ne change rien au fond du sujet, qui est de démontrer que les projets forestiers contribuent de manière réelle et mesurable à réduire les émissions de CO2 dans l’atmosphère. Laurence Caramel
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