Après plusieurs années passées à faire de la vente à emporter sur les marchés, à bord d’un fourgon, Gnama Cissé a ouvert son restaurant, rue du Moulin-à-Vent, à Poitiers, fin 2020. FP A Poitiers, Gnama Cissé cuisine un attiéké – mets à base de semoule de manioc – à tomber par terre. Des samosas au fromage, des beignets de crevette, des frites de patate douce, des acras de morue, du poulet sauce mafé, du poisson façon yassa complètent la carte de son petit restaurant africain et caribéen, situé en centre-ville. Un fumet exaltant chatouille les neurones olfactifs des clients, sitôt la porte de Chez Gnama franchie. L’odeur n’est pas du goût de tous, cependant. Les propriétaires des trois appartements situés au-dessus de l’établissement ont attaqué la restauratrice en justice, fin 2022, au prétexte que des effluves de cuisine se répandraient allègrement dans le bâtiment, rendant impossible la location ou la revente des logements en question, vides d’occupants. Démarche plutôt rare, le juge des référés et son greffier se sont rendus sur place, mi-janvier, pour « humer » les étages. Mercredi 1er mars, le tribunal a rejeté la demande des plaignants de fermer le restaurant de la rue du Moulin-à-Vent. Gnama Cissé a de bonnes raisons de se sentir « soulagée ». Ouverte fin 2020, sa cantine dotée de quatre tables est un peu l’aboutissement de sa vie, commencée en Guinée il y a trente-trois ans. Avant d’ouvrir boutique, la jeune femme a écumé les marchés de Poitiers et des alentours à bord d’un fourgon consacré à la vente de spécialités africaines. « Quand allez-vous créer votre propre restaurant ? », lui demandaient ses habitués. Gnama Cissé a alors investi « toutes ses économies » dans ce rez-de-chaussée, en lisière du quartier piéton. Les premiers courriers sont arrivés assez rapidement pour lui demander d’arrêter d’embaumer l’immeuble avec sa « cuisine exotique ». « Le début d’un véritable harcèlement, limite raciste, s’en offusque-t-elle aujourd’hui. Odeurs ou pas, en quoi le caractère “exotique” de ma cuisine pose-t-il problème ? » Recettes guinéennes de sa grand-mère Pour apaiser le conflit, la restauratrice n’a pas ménagé sa peine, ni son porte-monnaie. Elle a remplacé sa hotte par un modèle sur mesure d’un montant de 4 000 euros. Elle a fait gainer le conduit d’aération par le propriétaire bailleur. Elle a même rayé de sa carte des « sauces qui mijotent longtemps » afin de restreindre le volume des senteurs. Dans le même temps, une pétition a été lancée en ligne par des clients fidèles : plus de 1 500 signataires ont apporté leur soutien à cette mère de trois enfants au « long parcours de combattante ». La cheffe de 33 ans d’origine guinéenne a pu compter sur le soutien de ces clients fidèles face au harcèlement dont elle se dit victime. FP Arrivée en France à l’âge de 15 ans avec un bébé, Gnama Cissé avait alors été prise en charge par le dispositif de l’aide sociale à l’enfance. Des études dans le secteur de l’économie sociale et familiale (BTS, diplôme d’Etat) lui avaient ensuite ouvert les portes d’une maison de quartier, à Poitiers, mais l’expérience de « référent » – soit un rôle d’accompagnatrice auprès des habitants et de leurs projets – n’avait pas débouché sur une embauche. La jeune femme s’était alors souvenue que sa cuisine guinéenne ne déplaisait pas à sa famille d’accueil. Lui revenaient également en mémoire les recettes de sa grand-mère, dans la petite ville de Kindia : « Elle m’a tout appris. En Afrique, vous savez cuisiner dès l’âge de 10 ans. » Il vous reste 22.31% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Source link