Dans un centre d’enregistrement des électeurs, à Goma, le 16 février 2023. GUERCHOM NDEBO / AFP Il faut montrer patte blanche pour entrer dans le bureau de Mavuno, l’un des plus grands centres d’enregistrement des électeurs de Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Trois policiers armés de kalachnikovs vérifient les identités au compte-gouttes à travers le hublot du portail. « Je suis venue à 2 heures du matin mais je ne suis toujours pas passée », lance une quinquagénaire au milieu d’une trentaine de personnes agglutinées devant la porte. Lire aussi : Dans l’est de la RDC, Goma plus isolée que jamais Dans la capitale du Nord-Kivu, les files d’attente sont longues. Mais dix jours après le lancement des opérations d’enrôlement, le 16 février, seulement 6 % des votants de la province ont reçu leur carte, selon la Commission électorale nationale indépendante (CENI). « Je viens depuis trois jours ! », hurle Jeanne, une électrice rattrapée par les agents de sécurité alors qu’elle s’était faufilée à l’intérieur du centre pendant une bousculade. Après plusieurs heures d’attente, la jeune femme est finalement face à l’un des responsables du bureau, qui archive ses empreintes et sa photo sur un ordinateur. Quelques minutes suffisent pour recevoir le précieux sésame : la carte d’électeur. « Parfois les machines tombent en panne. Dans ce cas, on ferme jusqu’à ce que le problème soit réparé », assure un agent de la CENI qui a requis l’anonymat. Pourtant, le temps presse pour enregistrer les 4 735 866 votants attendus dans le Nord-Kivu, qui représentent entre 8 et 10 % des électeurs nationaux, selon le Groupe d’experts de l’ONU sur le Congo (GEC). Le scrutin semble encore loin L’élection présidentielle, couplée aux législatives et aux provinciales, est censée se tenir le 20 décembre 2023. Mais dans les 32 centres d’enrôlement de Goma, le scrutin semble encore loin. « La carte d’électeur nous donnera la carte d’identité [qui n’est pas délivrée pour le moment en RDC]. C’est surtout ça qui m’amène, le reste ne m’intéresse pas beaucoup », assume Pacifique devant le bureau de Mavuno. En avril 2022, le gouvernement congolais s’était engagé à distribuer, sur la base du même fichier et avant le début du vote, ces deux documents. Cette promesse pourra-t-elle s’appliquer à tous les habitants du Nord-Kivu, la seconde province en termes de poids électoral ? A ce jour, seuls 84 % des bureaux d’enregistrement sont opérationnels dans la région. Aucun n’a ouvert dans la partie contrôlée par les insurgés du Mouvement du 23-Mars (M23), même si le groupe armé a promis à plusieurs reprises de se retirer et de cesser les hostilités à compter du mardi 7 mars. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En Afrique, le nouveau « partenariat » proposé par Emmanuel Macron mis à l’épreuve par la crise en RDC L’exclusion d’une partie de la population du processus électoral pourrait accroître la méfiance sur ceux qui peuplent la zone désormais administrée par les rebelles, notamment sur les communautés d’expression kinyarwanda, la langue également parlée au Rwanda, accusé par Kinshasa et un rapport du GEC de soutenir le M23. « Elles sont pointées du doigt, accusées d’être étrangères, depuis le début des années 1990. C’est à cette période, lors de la conférence nationale souveraine organisée par le président Mobutu Sese Seko, qu’a émergé le concept de “nationalité douteuse” », rappelle Onesphore Sematumba, de l’International Crisis Group (ICG). « A moyen terme, le fait de ne pas avoir sa carte d’électeur pourrait être utilisé pour exclure certaines personnes de la nationalité congolaise », poursuit le chercheur, qui craint une multiplication des amalgames entre Congolais rwandophones et Rwandais. « Nous ne voulons pas exclure des nationaux, mais nous ne voulons pas non plus enrôler des étrangers dans la zone sous influence rwandaise », justifie Paul Muhindo, le rapporteur adjoint de la CENI. D’autant que le M23 continue son expansion dans les territoires de Rutshuru et de Masisi. Une quinzaine de circonscriptions restent inaccessibles et autant de sièges risquent d’être évincés de la future Assemblée Cette dégradation de la situation sécuritaire et ses conséquences sur le futur scrutin inquiètent les députés du Nord-Kivu. A ce jour, une quinzaine de circonscriptions restent inaccessibles et autant de sièges risquent d’être évincés de la future Assemblée nationale. Comme ces élus, certains mouvements citoyens appellent à la suspension des opérations électorales. « Le pouvoir en place n’est pas très populaire dans l’est de la RDC, puisqu’il n’a pas réussi à rétablir la paix et la sécurité. Mais il ne faudrait pas pour autant nous exclure pour s’assurer une réélection », prévient Jimmy Nzialy, coordinateur de l’association Génération positive. Newsletter « Le Monde Afrique » Chaque samedi, retrouvez une semaine d’actualité et de débats, par la rédaction du « Monde Afrique » S’inscrire La menace d’un « glissement » de l’élection a été ouvertement évoquée par le président Félix Tshisekedi le 4 mars. Lors de sa conférence de presse avec Emmanuel Macron, il a clairement lié la situation dans l’est à la tenue de la présidentielle à la date prévue. « Est-ce qu’il faut stopper le processus d’enrôlement des électeurs en attendant que la paix revienne, avec le risque que cela impacte le respect du calendrier ?, s’est-il interrogé. Faut-il continuer le processus en ne prenant pas en compte les populations nombreuses de déplacés de guerre ? C’est cela qui peut poser problème. » Plusieurs cas de fraude A Goma, la campagne électorale semble avoir déjà commencé. Des affiches géantes de Félix Tshisekedi, qui a déjà annoncé son intention de se présenter pour un second mandat, de ses ministres ou même de certaines personnalités, à l’instar de Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018 qui laisse planer le doute sur sa candidature, bordent les artères principales de la ville. « Inscrivez-vous », peut-on lire sur les panneaux. Dans les camps de déplacés de Kanyaruchinya, certains ont répondu à l’appel. La CENI y a installé plusieurs bureaux pour enregistrer un maximum d’électeurs. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), plus de 600 000 personnes ont fui les zones tenues par le M23 depuis un an. Lire aussi : Le retrait de façade des rebelles du M23 dans l’est de la RDC Jean, qui préfère ne donner qu’un nom d’emprunt, est l’un d’entre eux. Le jeune homme a bravé le mauvais temps pour se faire enrôler. Mais lorsqu’il a quitté son village à la hâte, en novembre, il n’a pas pu emporter ses papiers. « Ils sont nombreux dans ce cas. Il suffit de venir avec trois personnes de sa localité qui signent et témoignent de son identité », explique un président de centre. Mais à cause de la pluie, Jean n’a pas réussi à convaincre ses « témoins » de l’accompagner. « Leur présence n’était pas requise, j’ai juste eu besoin de présenter leurs cartes d’électeur », explique Jean après son inscription sur les listes. Si la CENI reconnaît « quelques problèmes », des membres de l’opposition et des militants d’associations citoyennes ont d’ores et déjà répertorié plusieurs cas de fraude partout dans le pays. Le youtubeur Fabien Kusuanika Mbambi, soutien de Martin Fayulu (qui continue de revendiquer sa victoire à la présidentielle de 2018), dit avoir réussi à obtenir quatre cartes d’électeur avec sa photo, « pour 5 dollars chacune », annonce-t-il sur les réseaux sociaux. La CENI a mis à disposition, début février, trois numéros de téléphone pour dénoncer « le monnayage, la corruption et le désordre ». Coralie Pierret(Goma, RDC, envoyée spéciale)
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