Une manifestation demandant la libération du journaliste sénégalais Pape Alé Niang, à Dakar, le 18 novembre 2022. SEYLLOU / AFP Ce 3 mars 2023, sur le plateau de « Balance », une des émissions populaires de Walf TV, Pape Ndiaye prend la parole sur l’affaire la plus sensible au Sénégal depuis des mois, celle que l’on surnomme « Sweet Beauty ». Le nom est celui du salon de massage dans lequel Ousmane Sonko est soupçonné d’avoir violé une des employées, Adji Sarr. Une affaire dans laquelle l’opposant au président Macky Sall vient d’être renvoyé devant un tribunal. Lire aussi : Au Sénégal, la justice maintient le renvoi devant un tribunal d’Ousmane Sonko Une décision politique, sous-entend ce jour-là Pape Ndiaye. Le chroniqueur judiciaire affirme – sans toutefois apporter de preuve – que 19 substituts du procureur s’étaient opposés à ce renvoi devant la chambre criminelle. Quelques heures plus tard, le 4 mars au matin, le journaliste est placé en garde à vue puis, mardi 7 mars, sous mandat de dépôt. Au total, six chefs d’inculpation ont été retenus contre lui : provocation d’un attroupement, outrage à magistrat, intimidation et représailles contre un membre de la justice, discours portant discrédit sur un acte juridictionnel, diffusion de fausses nouvelles et mise en danger de la vie d’autrui. « Seules deux accusations portent réellement sur le dossier, les autres sont ubuesques et n’ont rien à voir avec l’affaire », s’étonne Ibrahima Lissa Faye, membre de la Coordination des associations de presse (CAP) et président de l’Association presse en ligne (Appel). Selon Moussa Sarr, avocat du prévenu, Pape Ndiaye risque jusqu’à trois ans d’emprisonnement. « Un simple démenti du parquet aurait suffi », regrette Me Sarr. Une opinion partagée par M. Faye : « Pape Ndiaye a reconnu son erreur et fait amende honorable. Il aurait été plus logique de saisir le Conseil pour l’observatoire des règles d’éthique et de déontologie dans les médias [Cored], qui aurait pu lui interdire l’exercice de sa fonction. » « Ce n’est pas acceptable en démocratie » Si le cas de Pape Ndiaye inquiète sa profession, c’est qu’elle rappelle l’arrestation, en novembre 2022, du journaliste Pape Alé Niang. Celui-ci était également accusé de « diffusion de fausses nouvelles » en lien avec l’affaire Adji Sarr. Suite à une forte mobilisation, le journaliste du site d’information Dakar Matin, en grève de la faim, avait été libéré après deux mois en prison. « Lorsque deux journalistes très connus sont arrêtés et poursuivis en quelques mois dans l’exercice de leurs fonctions, c’est que la situation est grave. Ce n’est pas acceptable en démocratie, où le droit d’informer est inscrit dans la Constitution », rappelle Me Sarr. Les autorités sénégalaises ont quant à elle toujours défendu qu’elles ne s’ingéraient pas dans les dossiers judiciaires. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En Afrique de l’Ouest, des journalistes d’investigation sous pression A un an de l’élection présidentielle de février 2024, la tension est palpable. Alors que Macky Sall est soupçonné par ses détracteurs de vouloir solliciter un troisième mandat, son principal opposant, Ousmane Sonko, est poursuivi dans plusieurs affaires, ce qui pourrait l’empêcher de se porter candidat. Les arrestations et poursuites à l’encontre de militants et sympathisants d’opposants politiques se sont accentuées ces derniers mois. « Le pouvoir a décidé de museler et d’intimider la presse pour que les journalistes aient peur et ne traitent plus de dossiers sensibles. On sent une volonté de l’Etat de casser des journalistes pour qu’ils s’autocensurent », rapporte M. Faye, de la CAP. Il craint que d’ici à 2024, les atteintes à l’encontre de la presse se multiplient. « Demain ce sera peut-être un confrère ou une consœur. L’affaire “Sweet Beauty” a fait beaucoup de victimes », s’inquiète-t-il. Alice Hautbois(Dakar, correspondance)
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